Interview: Jean-Moise DUBOURG

Après la victoire de Rubens Barrichello à Valence, Alain Prost s'attend à ce que le Brésilien donne tout lors des prochaines courses pour combler l'écart qui le sépare de son coéquipier Jenson Button. L'ancien pilote français ne mise pas un euro en revanche sur ce triste Luca Badoer.

Est-ce que vous pensez que Barrichello peut aller décrocher le titre ou pensez-vous au contraire que l'équipe Brawn va privilégier Button?
C'était quand même une petite surprise. Pas de voir Barrichello devant Button, car, depuis trois, quatre courses, il était un peu plus à l'aise. Notamment sur certains circuits. Button semble, lui, un peu plus timoré et ça s'est vu au départ où il s'est fait enfermer alors qu'il était très incisif lors des premiers Grands Prix, surtout dans ses dépassements. Ça fait beaucoup la différence. Mais, malgré tout, il était aussi un poil moins vite à la régulière, à part en deuxième partie de course. Maintenant, je dirais que la saison est de nouveau un peu différente. C'est une saison assez incroyable car elle ne se passe pas du tout d'une manière limpide comme on aurait pu l'imaginer au début avec les victoires de Button, le retour au premier plan de certaines équipes comme McLaren et Ferrari ainsi que cette lutte entre Brawn et Red Bull. Mais, là, la donne est un peu changée. Et ce pour deux raisons. La première est mathématique: Button a repris malgré tout deux points aux pilotes Red Bull, alors qu'on aurait pu penser que ça pouvait être l'inverse. Et Barrichello, lui, en a pris dix d'un coup. Il est revenu à la deuxième place du classement et est presque redevenu un concurrent direct pour Jenson Button.

Le choix du premier pilote, que l'on attendait chez Red Bull, ne va-t-il pas s'opérer finalement chez Brawn?
Au niveau de Red Bull, c'était de toute façon trop tôt en raisons d'aspects très techniques. Il y a tout d'abord Webber qui est un peu plus régulier alors que Vettel, lui, connaît davantage de problèmes, qu'il s'agisse de petites erreurs ou de soucis mécaniques. Il faut savoir qu'il ne lui reste que deux moteurs neufs jusqu'à la fin de la saison en raison de ce règlement des huit moteurs qui va l'handicaper énormément. Donc, pour le titre, ce n'est pas forcément perdu pour Vettel, mais ça va devenir de plus en plus compliqué. Et la position de Red Bull par rapport à son premier pilote, à savoir celui qui va peut-être gagner le titre, elle n'est pas évidente pour l'instant.

Quand les choses vont-elles s'éclaircir davantage?
Il faudra attendre ce Grand Prix de Spa bien sûr, mais peut-être même aussi un autre Grand Prix ensuite. Concernant Brawn, c'est encore plus délicat que Red Bull en terme de gestion car Barrichello est très motivé. On l'a vu en début d'année lorsqu'il s'est montré très déçu de voir qu'il y avait déjà une prise de position pour être le premier pilote de la part de Jenson Button. Barrichello va être remonté comme une pendule et va tenter de jouer sa carte seul. Donc peut-être que Brawn doit laisser la porte ouverte entre les deux pour essayer de ne pas perdre la cohésion au sein de l'équipe, mais tout en voyant que Button marque un peu le pas. Donc c'est très compliqué à gérer. Cela va être une saison riche en suspense et une fin de saison basée sur la psychologie. Il va falloir garder les nerfs solides, car, quand on a une McLaren ou une Ferrari devant, il faut marquer des points. On ne peut pas se permettre le moindre faux-pas, donc c'est extrêmement complexe.

Quelle ambiance règne entre les deux pilotes Brawn, Jenson Button et Rubens Barrichello?
Ils s'entendaient très, très bien avant le début de la saison. Ils s'entendaient également très bien en début de saison, mais, après les trois premières courses, il y a eu un petit moment de flottement, et c'est très difficile de savoir comment ça va se passer maintenant. C'est toujours un peu le jeu des chaises musicales: un pilote qui gagne a le moral. Jenson Button marque lui le pas depuis quelques courses. Alors, est-ce qu'il va pouvoir remettre les pendules à l'heure? Sachant qu'il court le risque en voulant assurer sa large avance de conduire un peu moins bien. Il peut aussi en avoir marre de passer pour l'épicier de service, reprendre du poil de la bête et attaquer. Même s'il garde son avance, en cas de faux-pas, son avance au général peut fondre comme neige au soleil.

Pour revenir à Red Bull, ne trouvez-vous pas étonnant ce souci de moteur à ce moment de l'année?
Ce qui est étonnant chez Red Bull, c'est que tous les soucis de moteur sont intervenus sur la voiture de Vettel! Webber, lui, n'en a connus pratiquement aucun. Mais c'est vrai que ça tombe vraiment très mal. Chez Brawn, par exemple, ils n'ont rencontré aucun problème avec le moteur Mercedes. Ce règlement est très dur et vient grandement perturber les chances d'un pilote au niveau du championnat. Est-ce que casser un ou deux moteurs de suite doit automatiquement sanctionner un pilote dans l'optique du titre de champion du monde? Personnellement, je trouve ça très difficile. Ce sont des règlements qui ont été faits pour privilégier la stabilité et pour une question de coûts, mais on y a perdu une part de sport. Et si, vraiment Vettel ne peut pas disputer ses chances jusqu'au bout pour ce problème réglementaire, c'est dur à accepter.

Comment expliquez-vous que Vettel soit le seul à casser des moteurs?
Peut-être parce qu'il est un peu plus brutal, ou peut-être est-ce simplement une question de malchance. Il se peut aussi qu'il dispose d'un moteur plus performant, donc plus fragile. Maintenant, en l'état actuel des choses, sachant que les moteurs sont très fiables, je pencherais plutôt pour un manque de chance.

Pensez-vous que Räikkönen et McLaren puissent continuer sur leur lancée lors des deux dernières courses?
Je pense qu'ils vont continuer. Mais ce n'est pas non plus une domination écrasante. Pour eux, le juge de paix sera Spa-Francorchamps. Car une voiture qui va bien là-bas, ira bien toute la fin de saison. Mais je pense surtout qu'ils ont corrigé le tir et rattrapé le temps perdu. Concernant les autres équipes, Ferrari est toujours à peu près bien, pas tout à fait encore aux avant-postes, mais très régulier. La Brawn, elle, avait démontré le pire lors des trois derniers Grands Prix, mais elle a retrouvé de la performance. Enfin, la Red Bull, comme elle l'a montré depuis le début de l'année, est très performante sur les circuits rapides mais beaucoup moins à son aise sur les circuits serrés. Elle devrait donc retrouver pas mal de performance dès ce Grand Prix de Spa-Francorchamps.

Quel est votre pronostic pour ce Grand Prix de Belgique?
Je mettrais Red Bull au niveau de McLaren et Ferrari, un tout petit peu derrière. A égalité avec Brawn, qui va retrouver un peu de performance après cette victoire. Donc je vois une McLaren ou une Red Bull. Et, derrière, une Ferrari et une Brawn.

Avez-vous été surpris de voir Luca Badoer terminer aussi loin des autres concurrents?
Disons que je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il soit performant. Mais de là à le voir terminer dernier et qu'il ne démontre rien du week-end, ça a été une petite surprise. Mais ce n'est vraiment pas étonnant. Sincèrement, c'est même bien pour le sport car ça démontre qu'être pilote de Formule 1 demande énormément de sacrifices et de préparation. Le pauvre, ce n'est pas de sa faute. S'il n'avait pas déjà été très performant dans sa carrière, peut-être qu'il n'aurait pas accepté. Mais là, il était obligé. C'est un rêve pour lui de conduire au moins une fois une Ferrari dans un Grand Prix. Mais il n'était pas préparé. Ni physiquement ni, encore moins, psychologiquement. Car il pensait qu'il ne serait plus jamais de sa vie sur une grille de départ. Donc il ne pouvait pas être dans le coup. Et il lui faudra peut-être une ou deux courses avant qu'il ne retrouve un niveau de performance correct. Mais de là à aider Ferrari, ce n'est pas possible.

Ferrari ne lui laissera pas forcément ces trois, quatre courses d'adaptation…
Non, peut-être pas. Mais est-ce que Ferrari a la possibilité aujourd'hui de remplacer facilement Badoer? Ils se sont beaucoup précipités pour le cas Schumacher, mais, à leur décharge, il n'y avait pas beaucoup d'autres solutions. Ce règlement d'interdiction d'essais privés fait que c'est très difficile de préparer un jeune pilote dans un cas extrême. Même au niveau de la sécurité, ce n'est pas très raisonnable. Après, Ferrari aurait pu prendre Nelson Piquet Junior ou Sébastien Bourdais, qui ont fait la première partie de saison. Mais est-ce que Ferrari, sur le plan de l'image, peut se permettre de prendre deux pilotes qui ont été débarqués en milieu de saison pour absence de résultats? Tout cela est compliqué. Mais la gestion de Ferrari n'a pas été parfaite.

Vous ne croyez donc pas à l'hypothèse Bourdais?
Elle serait d'une certaine logique, car il ferait de toute façon beaucoup, beaucoup mieux que Luca Badoer, c'est certain.

Comment avez-vous trouvé le premier week-end en F1 de Romain Grosjean?
Il a fait un bon week-end, un week-end "utile". C'est-à-dire pas de fautes en essais privés ni en qualification et des performances à hauteur de celles d'Alonso. Concernant la course, il y a eu cette petite touchette qui l'a obligé à rentrer aux stands. Mais si on enlève cette petite bévue de la première course, pas évident à gérer, il a fait un Grand Prix solide en terme de performance, de rapidité et de régularité. On ne s'attend pas non plus à ce qu'un pilote comme lui arrive et casse la baraque dès son premier Grand Prix en milieu de saison. Attendons et jugeons le plutôt sur un Grand Prix d'hommes comme celui de Spa, un circuit qu'il connaît bien et où il pourra encore mieux démontrer ses qualités.