LE JOURNAL DU DIMANCHE, 17.06.2007

Prost: "Pour l'instant, je vote Hamilton"



Propos recueillis par Gaëtane MORIN

Le quadruple champion du monde français, Alain Prost analyse la rivalité croissante entre le double champion en titre Fernando Alonso et la nouvelle étoile de la Formule 1, Lewis Hamilton, en tête du classement pilotes. Une cohabitation difficile, qui fait étrangement écho à celle qui l'avait opposé à Ayrton Senna à la fin des années 1980, déjà chez McLaren.

Alonso a déclaré cette semaine ne pas se sentir complètement à l'aise chez McLaren...
Je peux comprendre son sentiment. Il y est arrivé à l'intersaison en tant que double champion du monde. Il devait penser que cela lui confèrerait un statut. Il rêvait d'intégrer cette équipe et s'attendait à y retrouver une famille, dans la continuité de ce qu'il avait vécu chez Renault. Car il a toujours été numéro un de fait, avec toute une équipe derrière lui. Or, chez McLaren, il n'y a pas de hiérarchie. Alonso le savait mais il ne s'attendait pas à se retrouver face à un jeune pilote si prometteur.

Dans quelle mesure vous semble-t-il déstabilisé par Hamilton?
Techniquement, cela se voit à l'écran. Il essaie de piloter la McLaren comme il conduisait la Renault: il est agressif à l'entrée des virages, notamment dans les chicanes. Il est un peu trop brutal. Hamilton exploite beaucoup mieux l'auto que lui.

Son ascendant semble aussi psychologique...
Oui. Hamilton est un Anglais dans une écurie britannique et soutenu par la presse anglo-saxonne. Il a une histoire avec McLaren qui le porte depuis dix ans. On m'a longtemps demandé s'il était le neveu de Ron Dennis (patron de l'écurie)! Il avait déjà ses quartiers chez McLaren. Alors il est normal qu'Alonso se sente frustré, déçu et qu'il se pose des questions. Pour un pilote, c'est très difficile de sentir qu'un mouvement se crée autour de l'autre.

Ron Dennis est-il l'homme de la situation?
Il ne s'attendait certainement pas à ce que Hamilton aille aussi vite, ni à ce qu'Alonso soit un ton en deçà de son niveau. Mais Ron sait gérer cette rivalité. C'est lui qui va prendre le leadership, tempérer cette guéguerre entre ses deux pilotes.

Savait-il trouver les mots pour apaiser la tension entre Senna et vous? Vous ne vous serriez même plus la main sur le podium...
Non. Mais j'avais pris les devants en lui disant, dès la mi-saison, que je quitterais l'équipe à l'automne. Je ne crois pas que la crise larvée entre Alonso et Hamilton soit du même calibre que le conflit qui m'opposait à Ayrton. Elle est un peu exagérée médiatiquement.

A-t-il raison de ne pas trancher?
C'est tout à son honneur. Ron a du mal à demander à un pilote de faire le porteur d'eau: ce n'est pas sa philosophie. Malheureusement pour le sport, ces dernières années ont prouvé qu'il vaut toujours mieux désigner un numéro un dans l'équipe. Ferrari n'aurait pas gagné autant de titres avec Schumacher si celui-ci n'avait pas été son leader. A un moment donné, Ron devra trancher, sauf si McLaren domine outrageusement le championnat. Ce fut le cas en 1985 quand j'étais avec Lauda ou en 1988 avec Senna. Ron ne nous a jamais donné de consignes. Mais, entre pilotes, on établissait quelques règles. Avec Lauda par exemple, on s'était mis d'accord pour ne pas utiliser la pression du turbo supérieur. Aujourd'hui, je ne pense pas qu'on puisse encore décider de ça entre pilotes: la pression médiatique et les enjeux sont trop importants.

Se parle-t-on entre pilotes quand ça ne va pas?
Je ne pense pas qu'Alonso et Hamilton aient très envie de discuter ensemble mais il vaudrait mieux qu'ils le fassent. Ron les réunira tous les deux autour d'une table - ça a dû déjà être fait. Il avait essayé de régler ainsi ma rivalité avec Ayrton, mais ça n'avait pas changé grand-chose.

Que pensez-vous du comportement de Hamilton, qui s'est affirmé sur la piste et en-dehors?
C'est une surprise. Il a joué la panoplie complète, c'est assez bluffant. Mais il ne faut pas qu'il en fasse trop. Il ne devrait pas se laisser aller à ces petites piques dans la presse, comme après Monaco où il avait laissé entendre qu'il n'avait pas bénéficié de la meilleure stratégie de ravitaillement.

Quels conseils donneriez-vous à Alonso?
Bosser beaucoup plus avec les ingénieurs. Passer plus de temps en essais privés et essayer de comprendre pourquoi Hamilton exploite mieux la voiture que lui. Il faut aussi qu'il travaille sur simulateur: c'est un outil extrêmement important chez McLaren. Or, Hamilton l'utilise depuis des années, ce qui lui donne un petit avantage. Alonso doit parler à Ron Dennis, lui dire ce qu'il ressent, ramener les gens autour de lui. Le soutien dont il a besoin est au sein de l'équipe, pas dans la presse.

Si vous deviez faire un pronostic aujourd'hui, qui serait sacré champion du monde?
Tant que je n'ai pas vu Alonso gérer son pilotage autrement, pour l'instant, je vote Hamilton. Ses courses sont vraiment impressionnantes. Je ne vois pas ce qui peut l'arrêter sinon d'attraper la grosse tête.

La situation est-elle similaire chez Ferrari, où le leader attendu se fait aussi voler la vedette par son challenger?
Chez Ferrari, il n'y a pas de surprise. Je savais que l'intégration d'un pilote comme Räikkönen serait difficile. Il n'est pas 100% professionnel. Et il n'est pas d'un abord facile. Il ne semble pas s'intéresser vraiment à la technique. Or, après avoir perdu Schumacher et Ross Brown (son ancien directeur technique), Ferrari a besoin de se reconstruire. Les efforts se portent naturellement sur Massa même si, là aussi, c'est davantage un ressenti qu'une réalité. La rivalité entre les deux pilotes n'a pas le même impact que chez McLaren. C'est plus difficile pour Ferrari parce que la voiture est un peu moins bonne. Mais il n'est pas encore temps de définir le pilote n°1: pour Todt, il faut mériter ce titre, ce doit être une évidence. Il faut attendre que les voitures aient renoué avec la victoire.



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