SPORT365.FR, 09.07.2009

Alain Prost: « Vettel n'a plus droit à l'erreur »


Interview: Jean-Moise DUBOURG

Pour Alain Prost, la sortie de crise entre les constructeurs et la FIA annonce des bouleversements importants pour la F1. Sur la piste, il annonce que les chances de titre de Vettel sont intactes face à Button… s'il ne perd plus de points bêtement.

Alain, le Grand Prix de Grande-Bretagne a-t-il confirmé la prise de pouvoir progressive des Red-Bull…
Silverstone est l'un des circuits les plus difficiles de la saison. C'est en tout cas un circuit que les écuries anglo-saxonnes connaissent très bien. On sait que, sur ce genre de tracés, les meilleures voitures et les meilleurs pilotes peuvent faire la différence. C'est une saison assez bizarre et on a vu, depuis le début de l'année, des choses assez spéciales. On s'attendait à voir une lutte entre les Red-Bull et les Brawn. Personnellement, j'attendais les Ferrari à meilleure fête. Elles ont été un peu en dedans. Mais ce sont les Red-Bull qui ont tiré leur épingle du jeu avec une petite contre-performance de Jenson Button, certainement due à un problème de température et d'utilisation des pneus.

Cette incapacité à faire monter en température ses pneus semble chronique chez Jenson Button…
Il a un style de pilotage assez coulé et c'est un gros avantage dans certaines circonstances, notamment en conditions normales ou relativement chaudes. Cela lui permet d'économiser ses pneus tendres, par exemple, sur un "run" de 20 tours. Par contre, lorsque la température est fraîche, comme c'était le cas à Silverstone, les pneus ont du mal à monter en température. Cette année, la performance des voitures est souvent due à cela. La Red-Bull n'a pas ce genre de problèmes. C'est une voiture très efficace dans les courbes rapides, comme à Silverstone. Elle l'est beaucoup moins sur les parties très lentes, comme à Monaco. Pour le moment, la voiture la mieux équilibrée entre circuits lents et circuits rapides reste la Brawn mais la Red-Bull est revenue pratiquement à son niveau. Peut-être même au-dessus sur certains circuits.

Ce duel pour le titre qui s'annonce entre Brawn GP et Red-Bull peut-il relancer l'intérêt d'une saison assez linéaire?
C'est vrai que cette saison est assez linéaire. On attendait, dans la première partie de la saison, le réveil des grandes équipes. C'est une lutte entre Brawn et Red-Bull qui s'annonce. Est-ce que les grandes écuries vont pouvoir arbitrer ce duel? Cela va être la clé de ce championnat. Sinon, nous verrons une lutte entre Jenson Button et les deux pilotes de Red-Bull. Car je n'oublie pas Mark Webber dans la lutte pour le titre.

Quel bilan technique tirez-vous de cette première moitié de saison?
Sur un plan technique, il n'est pas difficile de faire un diagnostic assez sévère pour le "Srec" (système de récupération de l'énergie cinétique) qui, entre parenthèses, est un très bon système. Mais le problème est de ne pas l'avoir réglementé. En fin de compte, les voitures qui utilisent ce système sont très pénalisées. On l'a vu à Silverstone sur un circuit avec beaucoup de grandes courbes. L'inertie et un système de répartition des masses différent font que les voitures équipées du "Srec" ne seront pas compétitives partout, hormis sur des circuits très serrés.

Sébastian Vettel pointe à 25 points de Jenson Button. Peut-il refaire rapidement son retard?
Cela dépend de pas mal de conditions. La première, c'est que la voiture soit compétitive sur tous les tracés. On attend de voir en Allemagne mais surtout en Hongrie, sur un tracé beaucoup plus technique et sinueux, comment la Red-Bull va réagir. Il faudra également qu'il compte sur la chance, c'est-à-dire un faux-pas de Jenson Button. Vingt-cinq points, dans la F1 moderne où la fiabilité est au rendez-vous et où les voitures ne "cassent" pratiquement plus, c'est beaucoup. La troisième condition, c'est qu'il commette un peu moins d'erreurs que depuis le début de l'année. Il en a commis certaines qui lui ont coûté assez cher: en Australie, à Monaco et lors du premier tour du Grand Prix de Turquie. Pour être champion du monde, Vettel n'a plus le droit à l'erreur. Il est jeune, il a beaucoup de tempérament. C'est aussi pour ça qu'on l'aime. Il nous montre beaucoup de choses sur la piste.

L'actualité récente de la F1, c'est également cette sortie de crise entre la FOTA et la FIA… Vous étiez assez pessimiste sur une issue favorable. Finalement, il n'y aura pas de championnat parallèle en 2010…
J'étais personnellement pessimiste sur un compromis entre Max Mosley et les écuries. C'est un chamboulement beaucoup plus important qu'il n'y paraît. Les écuries ont repris leur mainmise sur les règlements. Elles veulent imposer leur propre règlement et leurs propres restrictions budgétaires et Max Mosley a annoncé qu'il ne se représentait pas. Dans un second temps, va se poser le problème des droits commerciaux gérés par Bernie Ecclestone. A un moment, il va falloir redistribuer tout ça de manière plus efficace entre les équipes mais aussi entre les promoteurs et organisateurs de Grand Prix. La question est maintenant de savoir qui, en octobre, va remplacer Max Mosley. Les équipes vont devoir également s'entendre sur ce qu'elles veulent faire de leur Formule 1, c'est-à-dire les règlements techniques à mettre en place dès 2010. Connaissant les discussions entre les constructeurs, il n'est jamais très facile d'avoir l'unanimité.

Les grands constructeurs semblent sortir vainqueurs de ce bras de fer. Mais cette belle unité peut-elle durer?
Elle peut durer car il en va de l'intérêt général. Mais il faut, en face, un pouvoir sportif relativement fort pour justement arbitrer dans certains cas sportifs et techniques. Si on les laisse tout seuls, les constructeurs ne feront pas que des bonnes choses. En revanche, avec un nouveau président au pouvoir sportif assez fort et une très bonne entente entre les deux, il n'y aura pas de problème. Il faut également changer les statuts des règlements et notamment l'article 66 du Code Sportif International qui dit qu'aucune modification ne peut se faire sans l'accord de l'ensemble des participants. Dans le domaine technique, l'unanimité est très difficile à obtenir.

Max Mosley a annoncé qu'il ne briguerait pas un nouveau mandat à la tête de la FIA. Quel serait le profil idéal de son successeur?
Je ne sais pas si la meilleure chose serait un seul successeur ou plutôt un binôme à la tête de la FIA. C'est une fédération extrêmement puissante qui regroupe énormément de choses avec une relation très étroite avec les constructeurs automobiles puisqu'elle gère les crashs-tests. Le volet sportif, avec la F1, est l'image et la vitrine de la course automobile. Il y a un candidat déclaré: Ari Vatanen. Il a une très grande expérience, sportive et politique, et peut très bien remplir cette mission. Le seul bémol, c'est qu'il ne connaît pas très bien la F1. Le profil idéal semble assez difficile à obtenir. Le candidat idoine devra obtenir un fort consensus au niveau de la FIA mais aussi du sport. On parle également de Jean Todt. Jean est l'homme de Max Mosley. J'espère pour lui qu'il fera l'unanimité au niveau des grands constructeurs. Cela ne semble pas être le cas pour l'instant.

Le prochain Grand Prix, c'est celui d'Allemagne au Nurburgring… Quelles sont les clés de cette course?
Cela va être un Grand Prix intéressant car il va y avoir énormément de nouveautés. On pensait qu'il y en aurait moins dans cette partie de la saison. Mais tout le monde a profité du break de trois semaines pour apporter des nouveautés. Il n'y aura pas de redistribution des cartes. Mais la Red-Bull sera-t-elle mieux que la Brawn sur ce tracé? C'est un tracé "moyen" qui devrait donc convenir aussi bien à l'une qu'à l'autre. Verra-t-on également une Renault? L'équipe semblait assez confiante par rapport à ce qu'elle avait amené comme améliorations. Je ne crois pas à McLaren qui est tellement loin.

Devant son public, Sebastian Vettel part-il favori?
L'extrême motivation de courir devant son public son Grand Prix national est très importante pour un jeune pilote comme Vettel. Cela va lui donner un moral de vainqueur. Mais il ne faut pas qu'il en fasse trop par rapport à cela. C'est peut-être la psychologie qui fera la différence entre un Vettel et un Button qui va commencer à assurer quelques points.

Quel est votre pronostic de podium?
Si je devais donner un pronostic, j'aimerais beaucoup avoir la météo avant car cela va dépendre également de cet élément. Mais je donnerais peut-être Button de nouveau sur la plus haute marche. Ensuite, je placerais sur le podium une Red-Bull avec Vettel ou Webber. Je pense également à la Ferrari de Massa sur le podium ou juste à côté.

Cette nouvelle donne augmente-t-elle les chances de voir la naissance d'un nouveau Grand Prix de France (à Flins)?
Ce qui est certain, c'est que les grands constructeurs ont tous envie de Grand Prix historiques et surtout en Europe. Leurs parts de marchés et leur culture sont en Europe et ils n'ont aucun intérêt à voir disparaître certains Grands Prix européens comme la France, l'Allemagne, l'Angleterre ou l'Italie. Mais pour préserver ces courses, la donne économique doit être différente de ce qu'elle a été dans le passé. On retombe alors dans les négociations avec Bernie Ecclestone. Le fait que les constructeurs aient pris un pouvoir plus important va certainement aider. Reste à savoir si cela se fera sur le court ou le plus long terme. A titre personnel, je vois les choses d'une seule manière. C'est un Grand Prix national et la décision doit être prise pratiquement au plus haut niveau de l'Etat. Le projet de Flins, avec l'élection du nouveau président du Conseil Général des Yvelines, a été remis sur les rails. Il faut une décision du Premier Ministre et du Ministre des Sports pour décider d'un site et d'une date. Ensuite, tout le monde se met en synergie derrière. C'est la seule solution plutôt que de voir, toutes les semaines dans la presse, l'apparition d'un nouveau projet ou d'un nouveau site. Cela tourne à la plaisanterie.



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