Interview: Jean-Moise DUBOURG

Alain Prost, quadruple champion du monde, revient sur le dernier Grand Prix de Monaco et nous fait part de ses favoris pour le Grand Prix du Canada qui a lieu ce week-end à Montréal.

Alain Prost, qu'avez-vous pensez du déroulement du dernier Grand Prix de Monaco?
J'ai beaucoup apprécié parce que c'était quelque chose de typique à Monaco. On peut avoir un spectacle fabuleux sur le sec comme sur le mouillé. Et cette année, avec la suppression de l'anti-patinage et de quelques aides au pilotage, les pilotes avaient pas mal d'appréhension avant le départ de la course. Et l'on a vu que, même en étant très prudents, pas mal de pilotes se sont faits piéger en début de course sous la pluie. Mais c'était quand même un beau spectacle.

Est-ce que l'on peut considérer la victoire d'Hamilton comme une surprise au regard de ses résultats précédents?
Je ne crois pas que ce soit une surprise car si l'on regarde les résultats d'Hamilton avant Monaco, on a vu que la McLaren était revenu à un très bon niveau, très proche des Ferrari. Et je peux en témoigner puisque j'ai eu la chance d'assister à la séance d'essais dans le stand McLaren pendant les qualifications. Sur un circuit comme Monaco, on pensait que McLaren serait au moins l'égal de Ferrari, voire un petit peu mieux. Lors des essais du jeudi et du samedi matin, la McLaren a dominé un peu mais on ne saura jamais si les Ferrari avaient un petit peu moins d'essence compte tenu des circonstances et de la météo du dimanche. Toutefois, on peut dire qu'ils auraient au moins fait jeu égal avec les Ferrari à la régulière.

Les Ferrari avaient dominé les qualifications. Hamilton s'est donc montré très fort en s'imposant le dimanche. Pensez-vous qu'il ait marqué les esprits pour la suite?
Oui et McLaren aussi. Ferrari restait sur quatre succès mais avec des marges très faibles, surtout lors des deux dernières courses. McLaren est revenue et l'on a vu que cela pouvait basculer d'un côté comme de l'autre. Au final, Hamilton a fait basculer les choses au meilleur moment de l'année en gagnant à Monaco, ce qui est prestigieux et redonne un coup de booste à son équipe. En plus, il a repris la tête du Championnat du monde alors que l'on ne parlait que de Ferrari, Raikkonen ou Massa depuis le début de l'année. Enfin, Hamilton va de nouveau aller sur un circuit qui va pouvoir lui être très favorable au Canada. Raikkonen va peut-être avoir un petit doute car, jusqu'à présent, c'était un peu: «moi j'ai gagné le Championnat à la dernière course l'année dernière, j'ai le temps donc je marque des points et j'assure, quand je peux gagner, je gagne…» Mais là, il vient de faire un zéro pointé à Monaco. Raikkonen se retrouve donc dans une situation particulière par rapport au Championnat et à Hamilton, mais aussi par rapport à son coéquipier. Donc psychologiquement, l'avantage est pour McLaren; ce qui n'était pas le cas avant.

Même si Raikkonen est hors des points à Monaco, Ferrari a beaucoup progressé sur ces circuits un peu lents, en ville. On a donc l'impression que c'est aussi de bon augure pour le Grand Prix du Canada?
Oui, c'est de bon augure pour le Canada et la Hongrie mais il n'y a pas tellement de circuits aussi typés que Monaco. L'année dernière, ils étaient passés un peu à côté mais ils avaient une voiture très particulière, un peu longue en empattement. Cette année, ils ont une voiture très équilibrée qui semble marcher partout. Après, il ne faut pas non plus oublier que Massa était en tête de la course. On ne connaît pas, sur le sec, sa fenêtre de ravitaillement mais au premier ravitaillement, ils ont mis le plein d'essence en pensant qu'il allait repleuvoir. Donc, dans ces courses là, il y a aussi une part de chance dont ils n'ont pas bénéficié. Hamilton tape le rail, s'arrête et change de pneus, en fin de compte, au bon moment. Il y a donc une part de chance qu'il faut intégrer.

Robert Kubica (BMW-Sauber) est très régulier depuis le début de la saison. Pensez-vous qu'il puisse être prétendant au titre?
Sincèrement, BMW et Kubica sont la bonne surprise de l'année dans la mesure où il y a une nouvelle écurie qui vient s'intercaler entre les deux meilleures. De plus, le Polonais est toujours là, sur tous les types de circuits. En qualification à Monaco, il a certainement été un peu gêné dans son dernier tour de lancement et je pense qu'il méritait un ou deux dixième(s) de mieux, ce qui l'aurait placé sur la deuxième ligne. Il a toujours été dans le coup et n'a pas commis une seule faute lors du Grand Prix. Après, je pense que la BMW n'est pas encore au niveau de la McLaren ou de la Ferrari mais Kubica fait une très belle saison et il mérite de gagner au moins une course. Et s'il continue comme cela et que, devant, des aléas se produisent comme à Monaco avec Raikkonen, on ne sait jamais. Il n'est certainement pas le favori mais il est un outsider qu'il faudra regarder lors des prochains Grands Prix.

Kubica ne risque-t-il pas de subir un petit coup d'arrêt au Canada, vu qu’il avait subi une grosse sortie de piste l'année dernière?
Au contraire, il va être encore plus motivé au Canada. A partir du moment où il est aussi performant que ce qu'il est actuellement après son accident, le fait de retourner là-bas est sincèrement un non-évènement. Il y pensera certainement mais il sera encore plus concentré pour faire le meilleur résultat possible d'autant que tout le monde va lui en parler. Je pense qu'il peut faire un très bon résultat au Canada.

A quel type de course peut-on s’attendre au Canada? Encore un duel McLaren-Ferrari? Les BMW peuvent-elles être là aussi?
On est dans une partie de la saison où l'on connaît les forces en présence. Tout cela s'est stabilisé et l'on connaît les trois équipes qui dominent et les cinq pilotes. Heidfeld, avec l'autre BMW, semble marquer le pas même s'il se retrouvera sur certains circuits; de là à dire qu'il peut-être devant Kubica à la régulière, je pense que ce sera très difficile. Pour faire un pronostic, au Canada c'est un peu comme Monaco, cela dépend si le temps sera sec ou pas sec. S'il pleut, on aura sûrement le même type de course qu'à Monaco. Par contre, si c'est sec, McLaren partira avec un petit avantage et ce sera un bon test pour Ferrari, pour voir s'ils ont récupéré le potentiel qu'ils ont perdu sur ce type de circuit. Kubica, je le mettrai tout de même en cinquième position mais très proche des quatre autres. C'est normalement une course pour Hamilton. Il y a un autre pilote qu'il faudra surveiller car il marche très bien, mais qui a une malchance inouďe depuis le début de la saison, c'est Kovalainen sur la deuxième McLaren. C'est peut-être sur un circuit comme celui du Canada qu'il pourrait se retrouver s'il n'a pas d'ennuis.

Un petit mot sur Sébastien Bourdais qui avait bien débuté la saison mais qui accumule les bourdes depuis?
Un premier Grand Prix est toujours particulier. On vous demande de rester sur la piste, ce qu'il a fait à merveille en Australie. Les circonstances de course ne lui étaient pas favorables pour être devant et il a bénéficié du fait que ce soit le premier Grand Prix, à Melbourne, où il se passe toujours quelque chose et où très peu de voitures finissent. Je pense qu'il est resté, tout comme les gens autour de lui et les médias, sur ce résultat qui est un peu piégeur car, psychologiquement, on a l'impression que l'on peut faire quatrième ou cinquième à toutes les courses. Aujourd'hui, c'est extrêmement difficile. Il faut que les objectifs soient toujours réalistes. Ce n'est pas parce que l'on a fait une bonne course que l'on doit toujours revoir les objectifs à la hausse à chaque fois. Il y a toujours une expectative qui est, à mon avis, un peu trop importante, notamment à Monaco où il y avait la nouvelle voiture. Il aurait certainement fait aussi bien, peut-être même mieux, avec l'ancienne voiture. On ne verra le réel potentiel de la nouvelle voiture que sur les trois ou quatre prochaines courses. Il faut peut-être redescendre à un certain niveau pour repartir après. Mais là, Bourdais doit gérer la pression qu'il se met un peu lui-même et qu'on lui met aussi à l'extérieur.