Interview: Jean-Moise DUBOURG

Estimant que la hiérarchie devrait être chamboulée sur le tracé magyar, Alain Prost pronostique une victoire de… Lewis Hamilton dimanche à Budapest. Le quadruple champion du monde français réagit également à l'éviction de Sébastien Bourdais.

Le Grand Prix d'Allemagne a resserré un peu plus les positions en tête. Est-ce que Red Bull peut dominer la deuxième partie de saison comme Brawn GP l'a fait lors de la première?
On a vécu un début de saison assez bizarre. Avec vingt points d'avance, normalement, dans le passé, c'était pratiquement "plié". Mais sur une saison comme celle-ci, on se dit que vingt points, en réalité, ça peut peut-être encore le faire pour Red Bull qui semble sur une dynamique. La grosse différence, à mon avis, se situe ici. Sur l'aspect mental et psychologique, plus que sur l'aspect technique. Jenson Button a connu deux Grands Prix très difficiles en Grande-Bretagne et en Allemagne, dans des conditions très froides qui ne favorisent pas l'utilisation des pneus de la Brawn. On va voir dès ce Grand Prix de Hongrie s'il peut réagir. Si non, cela voudra plutôt dire que Red Bull a pris le dessus. C'est vrai que psychologiquement, on sent dans cette équipe une vraie envie d'aller de l'avant et de gagner avec les deux pilotes. Par contre, l'équipe Brawn semble s'essouffler un peu plus. C'est certainement aussi la conséquence de la recherche de sponsors pour l'équipe en vue de la saison prochaine.

Quel est l'état d'esprit actuel chez Brawn GP selon vous?
Jusqu'à présent, le rôle de Ross Brawn dans une équipe - chez Benetton puis chez Ferrari - a toujours été celui de l'homme orchestre, du directeur technique, sans être celui qui dessinait vraiment les voitures mais qui faisait travailler les techniciens. Aujourd'hui, il est aussi patron de l'équipe donc il doit la faire fonctionner, trouver des sponsors, discuter au niveau politique dans le cadre notamment de la FOTA etc… Mais il n'y a pas vraiment de problème - il y en a eu un entre Barrichello et Button qui peut être réglé - seulement une sérénité qui n'est pas aussi grande que chez Red Bull, qui n'a pas de soucis financiers pour le futur et qui peut se concentrer sur ses pilotes.

Brawn a tout intérêt à continuer de gagner pour justement attirer des partenaires financiers…
Exactement. Pour eux, la vraie survie c'est de devenir champion du monde parce que le financement, quand on est champion du monde, vient en grande partie des droits télé. Ceci dit, je ne suis pas complètement pessimiste pour eux. Attendons de voir des courses disputées dans des conditions plus normales, plus chaudes et sur un circuit, Budapest, qui leur conviendra mieux. Il ne faut pas oublier que sur les deux circuits très serrés depuis le début de l'année, notamment Monaco, les deux Red Bull n'étaient pas à leur avantage. Donc, Brawn pourrait reprendre du poil de la bête et repartir sur une meilleure dynamique. Il ne faut pas oublier que dans un Championnat, il y a toujours des étapes-clés et cette course de Budapest en est une, aussi bien pour Red Bull que pour Brawn.

Pensez-vous Red Bull devrait dès à présent désigner un pilote n°1?
A un moment, il faudra de toute façon désigner un pilote leader. Mais, sincèrement, je pense que ce serait très mal vu de le faire maintenant pour deux raisons. La première, c'est qu'aujourd'hui, il n'y a qu'un point et demi d'écart entre Vettel et Webber, autant dire rien du tout. La deuxième, c'est que Vettel a, depuis le début de saison, quand même prouvé qu'il était peut-être un petit peu plus rapide mais pas non plus en assommant Webber. Or, ce dernier fait un peu moins de fautes. De par son inexpérience, Vettel pourrait faire plus de fautes dans la deuxième partie de saison. C'est pourquoi, je pense qu'il ne serait pas très bon de privilégier l'un des deux à ce niveau de Championnat.

D'autres pilotes sont-ils encore capables de venir contrarier le duel Brawn - Red Bull?
Si on se fie à ce qui s'est passé à Monaco, un circuit qui peut ressembler dans certains aspects à celui de Budapest, la McLaren était très rapide et Hamilton aurait pu réaliser le pole. Le Grand Prix de Hongrie pourrait donc sauver la saison un peu pitoyable du champion du monde. Ferrari revient aussi et je pense également à Renault avec Alonso. On ne sait jamais, sur un circuit comme ça…

Quel est votre pronostic pour ce Grand Prix de Hongrie?
(rire) Je mettrais un outsider comme Hamilton et la McLaren. Et je mettrais Button et la Brawn puis une Red Bull à la troisième place, un tout petit peu en retrait. On ne peut mettre que trois voitures, sinon j'aurais peut-être mis la Ferrari de Massa. Je pense que la hiérarchie va être un peu chamboulée à Budapest.

Vous prenez un risque sur ce pronostic et on sent que vous aimeriez voir McLaren un peu plus haut.
Oui, j'aimerais les voir plus haut, c'est sûr. Mais là, c'est une saison pourrie qui ne va pas leur amener beaucoup de satisfactions. S'il y a une course sur laquelle ils peuvent être bien, c'est celle là.

Dans les paddocks, la quinzaine écoulée a été marquée par le limogeage de Sébastien Bourdais chez Toro Rosso. Qu'en pensez-vous?
Je n'ai pas une vraie réaction car c'est quelque chose que l'on attendait depuis longtemps. Je me rappelle des phrases de Franz Tost et Helmut Marko à Monaco l'année dernière, donc après seulement trois ou quatre Grands Prix… Il a raté son début de saison l'année dernière à cause d'un comportement un peu difficile au niveau interne et il le paye encore aujourd'hui. Les résultats ne sont pas là. L'ambiance entre le pilote et son équipe n'a jamais été au top et voilà… Je n'ai pas vraiment de commentaire. On est ici dans le cadre d'une équipe assez atypique. Ce n'est pas une équipe de constructeurs. C'est une équipe qui prend "les restes" de l'écurie Red Bull. Ce sont des assembleurs et des exploitants donc on ne peut pas non plus s'attendre à de grandes performances. Il ne faut pas mettre l'objectif trop haut et c'est peut-être ce que Sébastien a voulu faire. Mais, en tout cas, la première chose qu'un pilote doit faire dans un cas comme ça, c'est être régulièrement devant son coéquipier pour se faire voir. Il n'a pas réussi à le faire.

Ce limogeage en milieu de saison paraît tout de même un peu étonnant?
Le plus décevant et le plus dur pour lui, c'est d'être limogé en milieu de saison. Parce que c'est toujours un constat d'échec pour un pilote et c'est très difficile de récupérer le coup pour l'année suivante. Toro Rosso a mis très longtemps avant de le signer l'hiver dernier, certainement pour voir si d'autres pilotes amenaient de l'argent. Ils l'ont pris à contrecœur et maintenant ils font le pari d'un jeune pilote de 19 ans qui n'a pas prouvé grand-chose.

Ce Jaime Alguersuari, vous le connaissez?
Oui, je le connais bien parce qu'il a couru avec Nicolas en Formule 3 en Espagne. C'est un très bon pilote mais il faut attendre car il doit acquérir de l'expérience. Ça va être aussi très difficile pour lui de commencer sur un circuit comme Budapest sans avoir fait beaucoup d'essais en F1. C'est même très limite. Le règlement de la F1 devient aujourd'hui un peu limite par rapport à ça. Il y a quelques années, on nous imposait un nombre de kilométrages important pour acquérir de l'expérience, aujourd'hui ce n'est plus le cas. Pour en revenir à Sébastien, ça va être très difficile de retrouver un très bon volant en F1.

Bourdais a-t-il un avenir en F1?
Je pense que ça va être très bouché en F1. Mais sait-on jamais… Il a couru un an et demi en F1. Aujourd'hui, tout le monde fait le pari des jeunes pilotes mais on voit que ça ne marche pas non plus toujours donc certaines écuries pourraient aussi faire le pari de l'expérience.