SPORT365.FR, 23.10.2007

Alain Prost: « La stratégie de McLaren était compliquée »


Interview: Jean-Moise DUBOURG

Après le verdict du Grand Prix du Brésil, Alain Prost nous parle de Kimi Räikkönen - « un beau champion du monde » - et de son caractère. Mais le quadruple champion du monde se pose aussi beaucoup de questions au sujet de McLaren...

Pour le dénouement de la saison, nous avons eu droit à une course à rebondissements. Comment avez-vous vécu cette course?
Comme tout le monde, je l’ai vécu avec beaucoup d’intérêt et avec passion parce que c’est exactement ce que j’ai vécu en 1986. On a compris tout de suite qu’il allait se passer quelque chose avec le départ et le premier petit faux pas d’Hamilton lors de son freinage raté derrière Alonso. C’est là où l’on voit que la stratégie de McLaren basée sur trois arrêts était un peu compliquée. Pas seulement en terme de performance mais aussi parce que ça mettait Hamilton sous pression. Il avait envie de reprendre immédiatement sa position après avoir été doublé par Räikkönen et Alonso. On a vu tout de suite que ce Grand Prix allait être à part sur un beau circuit où les dépassements sont possibles. On a eu droit à une course formidable avec un résultat non pas inattendu, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver lors de la dernière course d’un Championnat, mais assez surprenant sur divers points. Notamment sur la non-compétitivité de la McLaren.

Où l’écurie McLaren-Mercedes a-t-elle perdu le Championnat?
McLaren a vraiment perdu le Championnat il y a quinze jours lors du Grand Prix de Chine parce que la voiture était très compétitive. Hamilton est resté en tête une grande partie de la course mais son écurie a commis une première erreur en le faisant rentrer au stand beaucoup trop tard pour changer de pneus. Ensuite, lui-même a fait une erreur de jeunesse en rentrant trop vite au stand alors que la piste était humide. Du coup, toute l’équipe était sous pression pour une dernière course où on sait que tout peut se passer. Lors de ce Grand Prix du Brésil, il y a eu une vraie erreur stratégique en faisant partir Hamilton en trois arrêts. C’était un gros risque. Avec ces trois arrêts, ils devaient s’imaginer qu’Hamilton pouvait se qualifier en pole, partir devant et éviter peut-être les embûches du départ. C’est le seul intérêt que je vois à cette stratégie. Si c’était ça, c’était quand-même un peu risqué. Je pense qu’il aurait été mieux de le laisser peut-être un peu en retrait pour assurer un résultat. Malgré tout, encore une fois, ils ont perdu cette course et des points à cause de la non-compétitivité de la voiture. Et ça, c’est quelque chose qu’on ne peut pas vraiment expliquer parce que la Ferrari était certes très rapide ce week-end mais quand on regarde la position de McLaren par rapport aux écuries comme Williams, BMW et même Toyota, il n’y avait pas l’écart que l’on voyait d’habitude. Alors, est-ce qu’ils ont levé le pied volontairement ou assurer? C’est difficile à comprendre.

Est-ce qu’Hamilton a craqué sous le poids de la pression?
Il faut toujours regarder le point de départ: s’il gagne le Championnat en Chine, il ne fait pas cette erreur de pilotage qui a ralenti sa monoplace après quelques tours à Interlagos; idem s’il ne rate pas son départ pour se retrouver 8eme ou 9eme. C’est une succession de petits événements qui fait qu’il perd un peu de sa concentration. Donc oui, c’est une erreur mais ce n’est pas la plus grosse qu’il ait faite.

C’est assez paradoxal pour une écurie comme McLaren, qui est très expérimentée, d’aussi mal gérer une fin de saison comme celle-ci alors qu’elle a les cartes en mains.
Je crois que depuis que McLaren a eu les problèmes avec Alonso, c'est-à-dire depuis le deuxième ou troisième Grand Prix, et depuis la sentence de la FIA très dure à digérer, on n’est plus dans le même état de lucidité au sein de l’équipe. On l’a vu en Chine où, après l’épreuve Ron Dennis a fait une déclaration en disant que la course d’Hamilton était basée sur celle d’Alonso et non pas sur celle des Ferrari. Il voulait vraiment gagner la course pour remporter le Championnat avec panache et surtout contrôler Fernando Alonso, le coéquipier. Malgré tout, si ce n’était pas Hamilton, c’aurait été bien pour McLaren qu’Alonso gagne le Championnat. Donc on est dans l’irrationnel. Et quand on est comme ça en F1… C’est tout de même un sport d’équipe et dans ce domaine là, Ferrari a réalisé une véritable démonstration.

Au final, c’est vraiment une saison noire pour McLaren. L’écurie de Ron Dennis peut-elle s’en relever?
La clé, c’est de voir comment cette équipe va gérer l’après-saison. Celle-ci va être de toute façon compliquée. On n’a certainement pas fini de parler de F1, mais en dehors de la piste. Est-ce que McLaren et Mercedes vont rester eu égard à la sanction qui leur a été infligée? Va-t-il y avoir une contre-attaque? Comment Ron Dennis va gérer le cas Alonso? Va-t-il le laisser partir? Va-t-il lui demander de prendre une année sabbatique ou même le payer sans qu’il conduise? On peut tout imaginer. Je ne vois pas non plus Ron Dennis aujourd’hui le laisser partir sans dédommagement et aller faire le lit de Renault ou Toyota demain. On peut aussi se poser une autre question: est-ce que Ron Dennis, qui, il y a trois mois, était dépité, abattu et voulait arrêter la F1, va continuer un an de plus et retourner au combat ou, au contraire, laisser la place? On peut se poser toutes ces questions et les affaires extra-sportives, en plus de l’appel qui va être jugé normalement le 10 novembre, font qu’il y a beaucoup d’incertitudes.

Vous évoquez l’appel de McLaren auprès de la FIA, pensez-vous que des disqualifications soient encore possibles et qu’Hamilton puisse être désigné champion du monde?
Je vois mal aujourd’hui comment on pourrait redonner le titre sur tapis vert à Hamilton bien que, s’il y a une faute, en F1, elle devrait toujours être sanctionnée. Mais si la FIA a d’abord considéré qu’il n’y avait pas faute et qu’il y avait ambiguïté dans les mesures des températures, on peut aussi comprendre son point de vue.

Kimi Räikkönen fait-il un beau champion du monde?
Oui, je pense que Räikkönen fait un beau champion du monde parce que c’est un champion et un personnage atypique. Si vous demandez aux medias, ils vous diront qu’ils n’aimeraient pas avoir vingt pilotes de F1 du même type que lui. Mais il amène quelque chose. Ce n’est pas un pilote « à histoires », pas du tout polémique. Il ne s’intéresse absolument à rien d’autre que conduire et aller faire la fête avec ses copains. Il n’est pas exubérant. C’est tout le contraire de certains autres pilotes mais c’est un beau champion qui est capable de faire de très belles choses, de très belles courses. Sur l’ensemble de sa carrière, il mérite un titre. Cette année, le gros avantage qu’il a eu, c’est d’être resté toujours positif malgré un début de saison très compliqué. Il s’est quand même bien fait « allumer » par son coéquipier en début de saison. Il s’est intégré petit à petit à cette équipe et quand il avait bien pris ses marques avec une voiture qui lui convenait mieux, il a bien marché. Même s’il a remporté six Grands Prix (contre quatre pour ses rivaux), il n’a pas non plus été chanceux avec deux abandons sur problème mécanique donc plus que les autres prétendants au titre. Son succès est donc mérité.

Beaucoup doutaient de son intégration chez Ferrari. Comment s’est faite l’alchimie?
Ils ont réussi parce que, justement, le défaut de Räikkönen et devenu un peu son allié à la mi-saison. Il ne s’est jamais plaint. Il n’a jamais critiqué l’équipe. Il s’est toujours remis en question en disant qu’il ne s’adaptait pas à la voiture et qu’il lui fallait du temps. En fin de compte, c’est l’équipe qui l’a adopté car les gens de Ferrari se sont rendu compte qu’il n’avait pas de sautes d’humeur, qu’il était toujours pareil, toujours positif et désireux de faire le meilleur travail. Ils ont compris que ce n’était pas seulement un pilote froid et distant et une relation normale s’est installée. Il faut dire aussi que Ferrari a beaucoup de qualités pour mettre les gens à l’aise.

Quelle image Räikkönen a-t-il dans les paddocks?
Il fait l’unanimité. A part dans la presse parce qu’il ne parle pas beaucoup. Ça l’agace de parler. Lui, ce qui l’intéresse, c’est gagner. Parler, il le fait avec ses copains. Sinon, dans ses relations avec les autres pilotes, c’est quelqu’un de fair-play, de plutôt sympathique, capable de rigoler mais qui ne s’intéresse qu’à l’essentiel. C’est vraiment son trait de caractère. Il ne parle pas pour ne rien dire. Il préfère ne rien dire justement (rires). C’est une particularité en F1 car c’est très rare des pilotes comme ça.

Pensez-vous qu’il était vraiment le meilleur pilote cette saison?
Je ne dirais pas ça. Je crois que Massa, dans son équipe, l’a souvent dominé. Je pense vraiment que des quatre pilotes de pointe - c’est subjectif - c’est peut-être Alonso qui méritait le moins d’être champion cette année pour les raisons que l’on connaît et qu’on ne peut pas vraiment quantifier. Massa a raté deux ou trois courses mais il a été très performant. Quant à Hamilton, il a été exceptionnel jusqu’à deux Grands Prix de la fin.

Vous parlez d’Alonso, comment avez-vous jugé son attitude lors de ce dernier Grand Prix de l’année?
Il avait l’air un peu à l’écart. Est-ce parce qu’il s’est rendu compte en piste qu’il aurait du mal à dominer à la régulière les Ferrari? Il avait beaucoup d’éléments pour lui mais la voiture n’était pas très compétitive. On se repose donc la question: pourquoi n’était-elle pas compétitive? Sans avoir des arrière-pensées, c’est assez bizarre de voir qu’il y avait une seconde d’écart au tour entre une Ferrari et une McLaren. Alonso a semblé résigné sur et en dehors de la piste.

Un an après le duel Alonso - Michael Schumacher, on vient encore de vivre une superbe saison. Est-ce que la F1 actuelle vous passionne?
On se passionne différemment. Surtout parce que le suspense peut aller jusqu’au bout du fait que les voitures sont très fiables et que l’attribution des points permet un équilibre entre celui qui gagne le plus de courses et celui qui est régulier. Au sein des écuries, il y a également de moins en moins de pilote n°1 et de n°2. C’est plus ouvert et tant mieux. Le spectacle sur la piste est parfois soporifique mais le Championnat dans sa globalité est très intéressant.



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