Interview: Jean-Moise DUBOURG

Soucieux d’attendre la Malaisie pour tirer de plus amples enseignements du début de saison, Alain Prost se réjouit toutefois des changements de règlement. Selon le quadruple champion du monde, ils recréent une certaine incertitude.

On y voit un peu plus clair après le premier Grand Prix de la saison qui s’est déroulé le week-end dernier en Australie. On a surtout été gâté avec un Grand Prix rempli de rebondissements qui annonce une saison sans doute animée. Ce Grand Prix vous a-t-il plu?
Il m'a plu car les modifications du règlement - en ce qui concerne surtout l'électronique, un peu moins l'aide au pilotage - nous ont donné une course très animée, avec beaucoup de petites erreurs de la part, d'ailleurs, des grands pilotes notamment Räikkönen. On voit que c'est un peu moins évident entre le début et la fin de la course quand les pneus sont usés et que la piste est éventuellement un peu moins bonne. Cela ne nous a pas donné des indications formelles sur la compétitivité des voitures, car il faut toujours se méfier de ces premiers Grands Prix, notamment à Melbourne. Mais quand même, cela nous donne une petite idée d'une saison certainement fertile en rebondissements, parce qu'il sera très difficile pour les pilotes de ne jamais commettre d'erreurs, surtout quand on attaque, quand on essaye de dépasser une voiture. C'est plutôt à ce niveau là que nous avons eu des enseignements.

Pour vous, ce sont les changements de règlement qui font qu'il va y avoir beaucoup de rebondissements. La préparation des voitures n’est-elle pas également en cause?
Non, je pense que la préparation des voitures était très bonne. Cependant, on a vu une hiérarchie pendant les essais hivernaux qui ne correspond pas vraiment à ce que l'on a vu à Melbourne, ce qui est un peu surprenant. Peut-être que certaines écuries ont caché leur jeu, mais cela signifie aussi que, selon le circuit, on verra peut-être des voitures plus efficaces que d'autres, alors que par le passé, notamment lors des deux-trois dernières années, une voiture ou une ou deux écuries dominaient; il y avait une hiérarchie préétablie. On risque d'avoir quelques surprises et c'est très positif pour la Formule 1. Mais les petites erreurs que l'on a vues, les petits incidents comme celui de Massa au départ, par exemple, ce ne serait pas arrivé l'an passé avec l'antipatinage. De même Räikkönen, qui met un tout petit peu la roue sur la bordure extérieure au freinage, je pense qu'avec le système de contrôle du freinage, il n'aurait pas eu ce problème. On risque de voir ce genre de choses pendant la première partie de la saison. Les pilotes s'habitueront petit à petit et cela deviendra peut-être un peu plus évident pour eux.

Vous parliez de Massa et Räikkönen. On disait que Ferrari était grande favorite avant cette première course. Est-ce que la Scuderia peut redresse la barre dès ce week-end en Malaisie?
Je pense qu'elle peut redresser la barre. Je ne remettrais pas en cause l'écurie, ni la voiture, mais plutôt les pilotes. Oui, il y a eu un incident pendant les qualifications qui a fait partir Räikkönen loin derrière, et quand on est derrière, on a du mal à envisager un bon résultat. Malgré tout, il était septième au bout de quelques tours et encore troisième après le safety-car en fin de Grand Prix, alors qu'il a fait une erreur. La petite erreur de Massa qui lui coûte très cher au premier virage et les deux erreurs de Räikkönen font qu'on n'a pas pu voir la compétitivité des voitures. Ce qui est un peu plus inquiétant pour Ferrari, ce qui n'avait pas été le cas lors des essais hivernaux, c'est la fiabilité des voitures. Deux incidents en course, un incident aussi pour le moteur de la Toro Rosso, même si c'est un moteur client, plus la panne de Räikkönen à la fin, cela fait beaucoup pour Ferrari.

Devant, Lewis Hamilton a dominé son sujet de bout en bout, est-il plus fort que l'an dernier?
Je pense que cette première victoire dans le premier Grand Prix va le consolider un peu plus. Il est fort, ça on le sait. Il est bien dans sa tête. Il est vraiment parti cette année pour gagner un Championnat monde. Maintenant, il faut relativiser. Il a eu beaucoup de mal à avoir cette pole-position. Il a réussi avec son dernier train à arracher la pole, avec seulement un dixième d'avance sur la BMW de Kubica. En course, on pensait bien que ce ne serait pas la BMW qui allait lui donner du fil à retordre mais que ce serait plutôt une Ferrari, en tout cas sur ce premier Grand Prix. Donc il n'a pas encore été inquiété. On n'a pas encore la vraie compétition entre les grands favoris. Mais l'avantage qu'il a pris là, autant au niveau des points que sur le plan psychologique, c'est important car en ce début d'année, on verra peut-être des surprises, des voitures qui viendront s'intercaler, donc il faut emmagasiner le plus de points possible sur un Championnat comme celui-ci.

Le Grand Prix d'Australie étant assez particulier, il va falloir, selon vous, attendre le Grand Prix de Malaisie pour voir un réel affrontement entre McLaren et Ferrari…
Comme d'habitude, on va voir sur ces deux- trois premiers Grand Prix les forces en présence qui vont se consolider. C'est sûr que Ferrari et McLaren seront là, mais est-ce que BMW sèmera toujours le trouble? C'est une surprise de les avoir vus aussi bien lors de ce Grand Prix, alors qu'ils n'étaient vraiment pas bien lors des derniers essais hivernaux. Après on a vu qu'il y a un groupe d'écuries, en l'occurrence Renault, Red Bull et Toyota, qui sont très proches les unes des autres. On va voir si l'une d'entre elles est capable de se démarquer, ce qui n'est certainement pas évident d'une semaine à l'autre. Je ne pense pas que l'on verra beaucoup de développement sur les voitures.

Alonso a décroché la 4eme place à Melbourne alors que c'était une course à éliminations. Renault semble être un peu un ton en-dessous… Est-ce inquiétant?
C'est inquiétant dans la mesure où Renault est quand même Renault avec Alonso au volant, ce qui veut dire qu'ils ont le meilleur du potentiel. Ils ont travaillé toute l'année dernière, en tout cas c'est ce qu'ils ont dit, pour préparer la meilleure voiture possible pour la venue de l'Espagnol. Le fait de les voir malgré tout bien en retrait, il faut être honnête, est quelque peu inquiétant car on sait que la spirale du succès vient avec des résultats et là ils doivent être un peu déçus. On sait qu'ils attendent de grandes modifications aérodynamiques pour les Grands Prix européens, mais cela risque d'être un peu tard. Ceci dit, Fernando Alonso a bien conduit, il a bien sauvé les meubles en assurant la quatrième place. Il faudra certainement le voir sur un circuit qui lui convient mieux. Mais je crois que cela va être assez dur pour aller chercher les meilleures équipes devant.

Hormis Hamilton, l'autre héros du Grand Prix d'Australie a été Sébastien Bourdais. Avez-vous été surpris par sa première course? Pensez-vous que les Français doivent se repassioner pour la F1? Sera-t-il aux avant-postes selon vous?
En regardant le Grand Prix, je me suis dit qu'il avait fait tout ce qu'il fallait. C'est un très beau travail, il n'y a aucun doute la dessus. C'est une très belle entrée en matière parce que sur le premier Grand Prix, l'essentiel est de terminer la course. Cela lui a permis d'emmagasiner de l'expérience. Mais en regardant le Grand Prix, je me suis aussi dit que c'était un Grand Prix à "l'américaine", on avait l'impression de voir une course de ChampCar. C'est exactement comme cela que se déroule les courses de ChampCar. Sur le plan sportif, il n'y avait pas énormément de choses, pas beaucoup de dépassements, très peu d'attaques, mais il y a eu surtout des incidents, des accrochages et plusieurs interventions de la voiture de sécurité. Quand on est derrière une auto, c'est extrêmement difficile de dépasser, surtout en fin de Grand Prix quand les pneus sont plus usés. Sébastien a dû se dire sous son casque "ça ressemble aux courses de Long Beach ou des circuits en ville américains", où il faut être très concentré, attendre la voiture de sécurité, faire la bonne stratégie au bon moment et rester devant les autres. Faut le voir dans une configuration différente dès le week-end prochain. En tout cas, son entrée en matière a été très réussie.

D'autant qu'on a l'impression que Sébastien semble très serein. On sent qu'il a de l'expérience et on se rend compte que le ChampCar est un grand Championnat…
C'est un pilote qui connaît très bien les voitures sans aides au pilotage, qui a gagné beaucoup de courses, quatre Championnats consécutifs. C'est une expérience extrêmement importante, et peut-être la plus importante quand on arrive en F1. Il n'a aucun complexes à avoir, et beaucoup de pilotes, même expérimentés, vont se retrouver souvent à la faute avec les monoplaces actuelles. Certainement pas lui, car il n'a pas connu toute ces aides au pilotage auparavant.

Quel est votre pronostic pour la Malaisie?
Je pense vraiment, pour la première fois, que l’on va assister à une lutte très serrée entre Ferrari et McLaren. Je vois bien quand même une Ferrari un petit peu devant, et je mettrais bien entendu Räikkönen.