Interview: Jean-Moise DUBOURG

A l’approche du Grand Prix de Belgique et comme avant chaque course, Alain Prost nous livre son analyse. Le quadruple champion du monde revient bien entendu d’abord sur les sanctions infligées à McLaren par la FIA jeudi soir.

Comment réagissez-vous à la lecture des sanctions infligées par la FIA à McLaren-Mercedes?
C’est une sanction très très lourde. Elle est même énorme parce qu’on parle de 100 millions de dollars. En réalité, c’est plus que ça parce que le fait qu’ils ne marqueront pas de points lors du Championnat 2007 implique qu’ils n’auront pas en fin de saison la rétribution financière due au classement du Championnat des constructeurs. C’est donc une sanction qui plus proche de 150 millions de dollars. C’est très lourd quand on connaît le dossier qui n’est pas, a priori, vraiment «béton».

Vous dîtes qu’il y aura des conséquences à long terme pour McLaren. Est-ce que cela peut aboutir à la fin de l’écurie britannique?
Non, je ne crois pas. Les conséquences sont difficiles à estimer. Elles sont d’abord financières mais il va aussi y avoir une guerre totale avec la Fédération internationale puisqu’il y aura certainement un appel, voire un procès civil. Ça peut aller très loin et ça peut entacher indirectement la F1 et peut-être décourager certains constructeurs qui sont impliqués en F1. On peut tout imaginer et c’est vraiment la F1 qui a tout à perdre aujourd’hui, plus que McLaren.

La décision de la FIA semble un peu bizarre: en première instance, elle n’avait rien dit; là, elle enlève des points à l’écurie sans sanctionner les pilotes. Si une équipe a triché, ne devrait-on pas tout bonnement l’expulser sans prononcer une sanction intermédiaire?
En fin de compte, il n’y a pas beaucoup de choses rationnelles dans ces décisions car si McLaren-Mercedes est vraiment coupable, les pilotes en ont profité donc il faudrait aussi les pénaliser. On pénalise aujourd’hui le constructeur parce qu’on sait très bien là où ça fait mal alors que la logique voudrait qu’on pénalise tout le monde. Les faits nouveaux invoqués par la FIA pour convoquer ce deuxième Conseil mondial, c'est-à-dire des échanges de mails entre Pedro De La Rosa, le pilote d’essais, et Fernando Alonso, sont certainement des discussions comme il en existe depuis 20 - 25 ans en F1 entre les pilotes et les ingénieurs pour essayer de savoir quel type de réglages peut avoir une voiture, quel avantage elle peut posséder, etc… rien de plus. Il faut savoir qu’à la base, cette histoire vient de Ferrari par le biais de son ingénieur Nigel Stepney… C’est un peu irrationnel. C’est vrai qu’il fallait peut-être faire quelque chose pour éviter ce genre d’événement par la suite mais je trouve que c’est un peu brutal et un peu lourd.

Sur un plan sportif, ces décisions vont sérieusement perturber la fin de saison…
Ça va perturber la fin de saison au niveau de l’image de la F1 toute entière. Ferrari sera champion du monde des constructeurs. Au niveau pilotes, toute l’équipe McLaren-Mercedes va certainement se battre pour au moins arracher ce titre parce que c’est très important pour le constructeur, Mercedes. Mais, malgré tout, on va parler beaucoup plus de ce jugement d’ici la fin de l’année et ce n’est pas facile de se motiver pour l’équipe. Les pilotes, eux, je pense qu’ils n’ont aucun problème dans la mesure où ils ont une très bonne auto, une bonne équipe, et ils vont se battre jusqu’au bout. Encore une fois, je le répète, c’est surtout l’image de la F1 qui est ternie.

En donnant certains éléments, Fernando Alonso fait partie de ceux qui ont permis à la FIA de disposer de nouveaux éléments. Comment cela peut-il se passer pour l’Espagnol sur les dernières courses?
Je ne suis pas certain qu’Alonso ait fait volontairement ces déclarations. En tout cas, il va certainement être fragilisé car de par son témoignage, il y a eu un événement nouveau qui a fait qu’on en est arrivé à cette sanction. Donc c’est un peu compliqué dans la mesure où McLaren est reconnue coupable. On pourrait même imaginer que son contrat qui le lie à l’écurie britannique pourrait être dénoncé plus facilement s’il voulait vraiment s’en aller.

Il y a tout de même un Grand Prix ce week-end, en Belgique. Comment cela peut-il se passer pour McLaren?
En principe, Ron Dennis, Norbert Haug et les principaux dirigeants de l’écurie vont être mobilisés, peut-être dès ce week-end, avec les avocats pour réfléchir à la suite. En ce qui concerne la partie technique, les pilotes et les ingénieurs vont continuer leur travail. L’avantage qu’ils ont, c’est qu’ils sortent d’un doublé à Monza, sur les terres de Ferrari, et ils sont encore «chauds». Je ne pense pas qu’il y aura des problèmes sur le plan sportif mais dans les paddocks, il y aura beaucoup de discussions. C’est toujours un peu perturbant malgré tout.

Avez-vous déjà connu ce type de situation: une équipe sanctionnée mais qui est encore là? L’ambiance risque d’être très particulière ce week-end dans les paddocks…
On n’a jamais vu ce genre de situation. Ce qui est très différent, c’est ce «vol» de 780 pages de documents confidentiels. Ça, c’est vraiment du jamais-vu. Tout comme les sanctions prononcées par la FIA, très lourdes et pénalisantes. Ce qui risque d’arriver, c’est que cet événement traîne beaucoup en longueur. De plus, la médiatisation fait que le côté sportif est un peu occulté. Au final, malheureusement, le Championnat sera un peu tronqué.