SPORT365.FR, 09.05.2008

Alain Prost: « Ferrari sera dure à battre »


Interview: Jean-Moise DUBOURG

Alain Prost, le quadruple champion du monde de F1, pense que les pilotes Ferrari sont les grands favoris pour la victoire dimanche en Turquie. Renault, de son côté, doit confirmer son retour en forme. "Il ne faut pas que le soufflé retombe", prévient-il.

Alain Prost, le rouge est mis sur cette saison après le deuxième doublé consécutif de Ferrari en Espagne. Pensez-vous que cela peut durer toute la saison?
Heureusement, on ne peut pas savoir si ça va durer toute la saison parce qu’on ne connaît pas le développement des voitures concurrentes. Ce qui est sûr, c’est que Ferrari, comme prévu, est l’équipe à battre cette année. Sur tous les types de circuit, ils sont là. Ils sont même encore plus performants en course qu’en essais. On va voir comment ils seront sur des circuits plus sinueux, comme Monaco et le Canada. On voit que les deux pilotes sont là, toujours dans de bonnes conditions. Ils seront très durs à battre, surtout que McLaren a marqué un peu le pas et même s’ils sont un peu revenus à Barcelone, ils ne sont pas encore au niveau de Ferrari pour lutter pour la victoire.

Qu’est-ce qui fait la différence en faveur de Ferrari en ce moment?
Déjà, ils bénéficient de la continuité dans l’équipe, avec Räikkönen et Massa. La première année de Räikkönen a été un peu difficile au début, ce qui a peut-être un peu perturbé l’équipe. Aujourd’hui, ils ont une très bonne stabilité; même le changement de directeur technique n’a pas eu d’influence négative, en tout cas pas pour l’instant. Ils ont cette expérience des pilotes, qui connaissent bien leurs voitures, leurs réglages, les pneus. Ils ont bien travaillé pendant l’hiver, ce qui est une grande force. A contrario, Alonso a quitté McLaren pour Renault. On dirait que ça a déstabilisé McLaren en termes de réglages. On a l’impression que la voiture est bien mais qu’elle n’est pas exploitée au maximum. Hamilton manque peut-être d’expérience. Et le fait qu’il y ait moins de compétition entre les deux pilotes dans l’équipe expliquent qu’ils sont peut-être moins pointus. La pression sur Hamilton, favori du Championnat cette année, fait aussi que c’est compliqué.

McLaren était un petit peu mieux à Barcelone. Ils estiment que les voitures sont proches, et donc ils veulent insister sur les qualifications. Partagez-vous leur opinion sur l’importance des qualifs?
Jusqu’à présent, ils se sont un peu loupés en qualifs, au moins une fois, et puis ils ont été pénalisés en Malaisie. Mais même en Malaisie, ils n’étaient absolument pas compétitifs en course. Faire des bonnes qualifs, c’est évident que c’est extrêmement important mais ce n’est pas toujours suffisant pour espérer gagner une course. Et pour gagner un Championnat comme celui-ci, où les voitures sont très fiables, on ne peut pas compter que sur le manque de réussite du concurrent. Il faut aussi gagner des courses et là ils sont en retrait. Il manque quelques petits dixièmes pour aller chercher les victoires.

Heikki Kovalainen reste sur une grosse sortie de piste à Barcelone. Dans quel état d’esprit va-t-il être?
En principe, ce genre de pilotes est arrivé à ce stade en ayant connu pas mal d’incidents. Avec les examens qu’il a subis, on le saurait s’il était touché physiquement. Il n’aurait d’ailleurs pas l’autorisation de prendre le départ. Il faut absolument qu’il roule, je ne sais pas s’il a pu rouler avant la séance d’essais officiels mais je ne le crois pas. Je pense qu’il ne devrait pas y avoir trop de séquelles, mais il se peut que pendant un Grand Prix ou deux, il ait du mal à retrouver ses marques, comme d’autres pilotes dans le passé. On a vu Ralf Schumacher et d’autres, après des accidents assez importants, penser qu’ils étaient vraiment au top mais dans la voiture, même de petites séquelles gênent. Et puis tout le monde va le regarder, il sera sous pression du point de vue psychologique. Enfin, il y a le côté physiologique du corps humain, surtout quand on prend des décélérations comme celle qu’il a connue. Le cerveau, les cervicales et même les organes vitaux travaillent beaucoup quand on est dans la voiture. Donc on ne peut pas savoir ce qui va se passer.

A Barcelone, la bonne nouvelle est venue de Renault, même si la fiabilité a fait défaut. Pensez-vous qu’ils puissent continuer sur cette lancée ou n’était-ce qu’un coup d’éclat?
C’est difficile de savoir s’il y a eu une amélioration ou une petite prise de risque mais les moteurs sont figés, donc on peut faire très peu de choses. Au niveau de la performance, je suis un peu circonspect dans la mesure où Renault avait une stratégie en trois arrêts alors que les autres étaient en deux, c’est-à-dire qu’ils avaient embarqué moins d’essence que les autres en qualifications. Donc sa place finale aurait été au mieux une sixième place. Je pense qu’ils ont amélioré la voiture, ils ont progressé mais pas assez pour être vraiment devant. Est-ce que ce sera suffisant? Ils n’ont pas trop mal redressé la barre c’est vrai, parce que, ne serait-ce que médiatiquement, on en a parlé. C’était en Espagne, pour Alonso ça fait du bien. Il ne faut pas que le soufflé retombe aussi vite. On verra ce week-end. La Turquie et Monaco peuvent être des circuits plus favorables à Alonso.

Après un bon premier Grand Prix, Sébastien Bourdais marque le pas et il a même fait une petite erreur en Espagne lors de son accrochage avec Piquet. Va-t-il commencer à avoir plus de pression?
Il y a deux choses pour Sébastien. La première, c’est que ça fait deux fois de suite qu’il est devant Sebastien Vettel, son coéquipier, en qualifications. C’est le côté vraiment très positif parce que c’est quand même son but ultime, même si c’est complètement subjectif. Vettel a une bonne image en F1, peut-être pas toujours justifiée parce que je me rappelle que Luizzi était très souvent devant lui et on préférait Vettel peut-être pour des raisons de caractère, de personnalité. On ne sait pas toujours ce que valent ces pilotes avant qu’ils ne soient dans de très bonnes équipes. En tout cas, tant que Sébastien Bourdais est devant Vettel, c’est très bien au niveau de l’image. Et puis il y a le côté course, il a fait une petite erreur quand Piquet l’a dépassé. Ce sont des erreurs qu’il ne faut pas répéter trop souvent parce que ce n’est jamais bon dans le milieu. Mais pour l’instant il n’y a absolument pas péril en la demeure. Il faut qu’il continue comme ça. Et qu’il essaie de finir les courses. C’est important de finir devant Vettel le plus souvent possible, et important de finir un maximum de courses pour emmagasiner de l’expérience. Pour donner confiance aussi au team manager pour le futur. Ce n’est jamais positif quand on ne finit pas les courses.

Avant ce GP de Turquie, Super Aguri a annoncé son retrait. Est-ce une mauvaise nouvelle pour la F1?
C’est une mauvaise nouvelle quand une équipe s’arrête. C’est le lot de la Formule 1. Il y en a beaucoup qui ont arrêté ces dernières années, d’autres se sont reconstruites. Il y en a aussi qui ont été vendues plusieurs fois, comme Jordan. C’est vraiment le format actuel de la Formule 1 qui peut être en cause, dans la mesure où ces équipes ont été demandées par des constructeurs, puisque Honda voulait faire une équipe bis. Les voitures d’Aguri Suzuki n’ont jamais été des voitures construites par lui. C’étaient des Honda de l’année précédente. C’est le cas aussi pour Toro Rosso, même si c’est peut-être un peu différent. Le règlement est très clair, il va d’ailleurs être modifié pour être encore plus clair dans les deux années qui viennent. Il faut être constructeur. Quand on n’est pas capable d’être constructeur d’un châssis, on n’est pas dans la règle. Et les autres équipes se sont beaucoup offusquées de ça. Je trouve qu’elles ont eu raison parce qu’elles emploient 500, 700 voire1000 personnes. On ne peut pas juste profiter du gros gâteau de la Formule 1 et faire seulement de l’exploitation avec 50 ou 60 personnes. Ce n’est pas le principe même de la Formule 1 donc il vaut peut-être mieux que ça s’arrête. C’est dommage pour le plateau, mais il vaut mieux avoir 16 ou 18 voitures de grands constructeurs.

Ces écuries, comme Super Aguri et Toro Rosso, que Red Bull cherche à vendre, n’étaient-elles pas vouées à l’échec dès le début?
Un peu vouées à l’échec sur la durée, oui. Les grandes équipes voient un intérêt à avoir une autre équipe, par exemple pour former de jeunes pilotes et pouvoir les récupérer après. C’est le vrai plus d’une équipe bis, mais ça coûte vraiment très cher. Les difficultés économiques font que même un grand constructeur doit rogner sur ses budgets. Il vaut mieux qu’il dépense son argent pour être compétitif avec son équipe, ce qui n’est pas le cas par exemple pour Honda. Les grands constructeurs ont des décisions stratégiques qui peuvent être parfois à très court terme, et ils peuvent décider d’abandonner du jour au lendemain.

Quel est votre pronostic pour ce Grand Prix de Turquie?
La Turquie a toujours été le circuit de Ferrari, donc je ne vois pas pourquoi Ferrari ne serait pas encore dominateur là-bas. Ça peut être un tournant. C’est le Grand Prix qu’il faut gagner pour eux parce qu’après on va aller à Monaco, au Canada, et ça peut de nouveau basculer. Il faut qu’ils prennent le maximum de points là où ils sont les plus forts. Je pense vraiment à un doublé Ferrari. Massa a toujours été très vite là-bas alors, pour une fois, je mettrais peut-être Massa devant.

Avec Laurent Picat



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