SPORT365.FR, 04.04.2009

Alain Prost: « Une voiture simple et efficace »


Interview: Jean-Moise DUBOURG

Avant la deuxième manche du Championnat du monde de F1, dimanche à Sepang (Malaisie), Alain Prost décrypte la réussite des Brawn-Mercedes, sensations de ce début de saison.

On a déjà assisté à un Grand Prix étonnant ce week-end en Australie, avec une hiérarchie complètement chamboulée. Vous nous aviez annoncé un podium Massa, Button, Alonso…
J’avais aussi évoqué Trulli! (sourire)

Finalement, vous n’étiez pas si loin que ça de la vérité…
Oui. Button et la Brawn, on savait qu’ils seraient dans le coup. Et Toyota aussi. Pour Massa et Ferrari, on ne savait pas très bien. Ça a été un peu… un échec, on va dire. C’était la seule grande écurie qui s’était parfois illustrée pendant l’intersaison. Renault aussi, mais on la sentait un peu petit plus irrégulière en termes de performances. Par contre, on a vu que ceux qui avaient dominé les essais hivernaux, c’est-à-dire Brawn, Williams avec Nico Rosberg, Toyota et Red Bull, étaient devant à Melbourne. BMW est peut-être la grande écurie qui s’en est tirée le mieux.

La question que tout le monde se pose après le Grand Prix de Melbourne, c’est: « Brawn, pourquoi ça marche? » Est-ce que vous avez des éléments de réponse?
Comme souvent, c’est assez complexe. C’est une équipe qui a travaillé très tôt sur les nouveaux règlements en voyant que l’année dernière elle n’était absolument pas dans le coup, quand elle portait encore le nom de Honda. Ross Brawn est arrivé dans cette équipe il y a un an, autant dire qu’il n’avait pas eu le temps de vraiment travailler sur la voiture existante. Donc il s’est concentré sur cette nouvelle réglementation. Ce sont eux qui l’ont appréhendée le mieux, le plus vite et le plus tôt, avec l’équipe Williams. Ce n’est pas une surprise si ce sont les deux équipes pointe en ce début de saison. De plus, ils n’utilisent pas le récupérateur d’énergie. Ils ont pensé que c’était mieux de faire plus simple, ce qui est quand même un avantage là aussi. Les équipes qui n’en sont pas équipées ont toutes été devant à Melbourne. Aucune écurie équipée du KERS n’a été compétitive en qualifications et en course. Et puis, peut-être que le talent, justement, de Ross Brawn, de Button, de Barrichello, et d’une voiture relativement simple mais sophistiquée dans son aérodynamisme au niveau du diffuseur, font un ensemble qui marche. C’est une voiture simple et efficace. Et elle risque de le rester encore pendant quelques Grands Prix.

Ross Brawn est quelqu’un qui a été très longtemps chez Ferrari et qui a aussi participé au succès de Schumacher. Qui est-il? Est-ce que vous le connaissez? Avez-vous déjà travaillé avec lui?
C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Je le connais vraiment très très bien. J’ai travaillé indirectement avec lui, puisqu’il était chez Ferrari à l’époque où on avait des moteurs Ferrari (Ndlr: lors de l’aventure Prost Grand Prix). Mais bien avant, il faisait du sport prototype avec Jaguar notamment. Chez Benetton en F1, il a été champion du monde avec Schumacher. Ce n’est pas un pur ingénieur qui est capable de décider de A jusqu’à Z au sujet d’une voiture. Il peut le faire mais ce n’est pas là où est sa grande force. Sa grande force, c’est de mener l’équipe technique, de lire - déjà - les règlements et de les interpréter. Il est vraiment très efficace là-dessus et il vient de le prouver cette année. Il sait faire travailler l’équipe technique autour d’un projet. C’est un super organisateur doté de qualités humaines exceptionnelles. Donc, c’est vraiment quelqu’un d’extrêmement important dans une équipe.

On sait que Renault, Ferrari et BMW ont fait appel au sujet du diffuseur arrière des Brawn, des Toyota et des Williams. Est-ce qu’on peut imaginer que la FIA puisse annuler les résultats des deux premiers Grands Prix puisque l’examen de l’appel aura lieu après la Malaisie?
Ça serait dommage. Annuler le résultat, je ne pense pas. D’ailleurs, règlementairement, ça ne devrait pas pouvoir se faire puisque la FIA a accepté le diffuseur arrière à Melbourne. Ce qui peut se passer, c’est qu’à partir de tel Grand Prix, la Fédération internationale dise que l’interprétation du règlement n’est pas celle-là et que tout le monde doit avoir à peu près la même ligne de diffuseur. Et ça, ce serait aussi difficile pour ces équipes-là qui devraient alors tout refaire. La voiture a été conçue de l’avant jusqu’à l’arrière, de l’aileron avant au fond plat, avec plein de petits appendices aérodynamiques. Et supprimer ça, c’est vrai que ça peut compliquer beaucoup de choses pour ces écuries-là. Mais ce serait un peu dommageable pour le sport et l’esprit de la F1 car c’est aussi dans la lecture des règlements que l’on voit le savoir-faire des ingénieurs. Il faut laisser un petit peu libre court à cette ingéniosité.

Sans ce fameux diffuseur, est-ce que Brawn resterait devant?
Je ne suis pas certain qu’ils passeraient de la première place au milieu de grille. Ils iraient moins vite, ça c’est sûr. Vu qu’ils ont quand même peu de moyens financiers - même si pour cette année, Honda a payé beaucoup de choses - ce serait dommageable de les faire travailler sur la refonte presque totale de l’aérodynamique de leur voiture.

La grande perdante du week-end australien, c’est Ferrari. Et plus généralement, les grandes écuries comme McLaren, Renault…
Ça, pour moi, c’est une très grande surprise parce que, normalement, quand il y a un changement de règlement important, les grandes équipes font la différence car elles ont plus de moyens et peuvent développer et simuler beaucoup plus que les petites équipes. C’est là où l’on voit, malgré tout, l’empirisme de la F1. Chez Williams, Brawn et Red Bull travaillent des gens qui ont construit des voitures depuis une vingtaine d’année et ils restent les plus ingénieux. C’est quand même une sorte de petit camouflet pour les constructeurs, surtout qu’ils vendent leurs moteurs à des équipes qui sont devant: Mercedes pour Brawn, Renault avec Red Bull et Toyota avec Williams. C’est bien pour le marketing mais ce n’est pas facile d’accepter ça pour les grandes équipes!

Est-ce que ces grandes écuries peuvent réagir dans les prochaines semaines selon vous?
Les équipes de grands constructeurs vont réagir assez vite, mais certainement pas aussi vite que par le passé. Il ne faut pas oublier qu’il y a un Grand Prix dès dimanche, en Malaisie. D’ici là, il y a tout de même peu de choses qui vont se passer. On retiendra un peu l’expérience de ce premier Grand Prix en Australie en ce qui concerne l’utilisation des pneus, les stratégies, etc… mais c’est tout. Ça peut resserrer un petit peu le plateau. Mais par contre, après, il n’y a plus d’essais privés possible vu que les règlements l’interdisent. Même en amenant énormément de développement, il faut quand même valider, essayer sur des circuits différents. Course après course, cela risque vraiment d’être à l’avantage des petites équipes qui ont été très performantes dès le début.

Un pronostic pour ce Grand Prix de Malaisie?
Là, je pense que l’on peut mettre, sans aucun doute, les voitures qui ont dominé à Melbourne. Après, c’est un circuit plus rapide, un peu différent. Il y a l’utilisation des pneus qui va beaucoup compter. Est-ce qu’il va faire très chaud en Malaisie ou pas? On a vu que les pneus jouaient un rôle déterminant. Peut-être qu’une Toyota pourrait être encore mieux qu’à Melbourne. BMW va être aussi très bien, surtout avec Kubica parce que pour l’instant, le KERS n’est pas extrêmement compétitif. Mais c’est là la vraie question: où la BMW, les deux Ferrari, les deux McLaren ou les Renault vont-elles se situer par rapport aux autres équipes? C’est vraiment après le Grand Prix de Malaisie que l’on va avoir une vue d’ensemble sur le premier tiers du championnat. Mais si les équipes dotées du KERS, c’est-à-dire avec un surcroit de puissance, ne se rapprochent pas de la tête avec l’expérience du Grand Prix d’Australie, ensuite, sur des circuits plus classiques, comme les Européens notamment Monaco ou Barcelone, là ça va commencer à être difficile.



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