LE MONDE, 15.10.2005

Entretien avec Alain Prost:
"La formule 1 est en état de conflit permanent"


Quel constat faites-vous de la saison de F1 qui doit s'achever, dimanche 16 octobre, avec le Grand Prix de Chine?
Le principal bouleversement est lié au changement du règlement concernant les pneus: les équipes Michelin se sont retrouvées devant et les équipes Bridgestone, dont Ferrari, derrière. Sur le plan sportif, la saison a donné lieu à une belle bataille entre deux écuries et deux pilotes. Le plus impressionnant est que Renault soit arrivé aussi vite à ce niveau de performance et de fiabilité. La déception, c'est Ferrari. Je peux admettre qu'ils n'aient pas été dans le coup au début, mais je ne comprends pas comment, avec leur force et leur expérience, ils n'aient pas atteint un meilleur niveau au cours de la saison. Ils ne peuvent pas seulement incriminer les pneus Bridgestone.

Et les aspects négatifs?
Ce qui m'a beaucoup énervé, c'est la décision de rétrograder de dix places sur la grille un pilote ayant cassé son moteur. Ça va à l'encontre de l'esprit sportif le plus élémentaire. La prime à la fiabilité concerne la course, pas les séances d'essais. La conséquence, c'est que l'on se retrouve avec un pilote, Kimi Räikkönen, qui a gagné plus d'épreuves que celui, Fernando Alonso, qui est champion du monde. On ne peut pas mélanger les championnats pilotes et constructeurs: ça n'est pas le même esprit.

Le duel entre Fernando Alonso et Kimi Räikkönen, justement, vous a-t-il rappelé celui qui vous a opposé à Ayrton Senna?
Ce sont deux époques différentes, et puis, avec Senna, pendant deux ans, nous avons été coéquipiers. C'est cette situation qui a le plus suscité d'intérêt de la part du public. A l'inverse d'aujourd'hui, les ravitaillements ne comptaient pas, les bagarres duraient plus longtemps, nous étions souvent roues contre roues. Il y avait, je crois, plus d'intensité. Le fait que, cette année, le titre n'allait pas revenir à Schumacher a probablement beaucoup intéressé le public.

Un duel au sein d'une même écurie. Cela semble inimaginable aujourd'hui?
Même s'il ne l'a pas toujours obtenu, Senna exigeait d'être pilote nş 1. C'est Ferrari, avec Schumacher, qui a enfoncé le clou. Quand l'objectif est de gagner à tout prix, la meilleure façon d'y parvenir est d'avoir un pilote nş 1 et un autre qui l'aide. Aujourd'hui, quand on signe un contrat, on sait si l'on est nş 2 ou pas.

Peut-on parler de deux philosophies différentes entre Renault et McLaren?
Au départ, il était évident que Fernando Alonso allait être le pilote nş 1. Il l'est devenu encore plus par rapport à certains événements. Même si Räikkönen l'était au moment où Juan-Pablo Montoya est arrivé dans l'équipe, il y certainement une ouverture sportive plus importante chez McLaren. Ron Dennis et son équipe soutiennent vraiment les deux pilotes. Chez Renault, on sent bien que Giancarlo Fisichella n'est pas en odeur de sainteté comme l'a été Trulli l'année dernière. C'est certainement un peu moins humain que chez McLaren. Le premier adversaire d'un pilote, c'est son coéquipier. Quand on commence à sentir qu'il y a des traitements différents, les gens ressentent un goût d'inachevé.

Vous semblez toujours être un spectateur attentif?
Oui, bien sûr. J'ai dû rater quelques rares grands prix cette année, sinon je suis très intéressé par ce qui se fait, par le spectacle. Je le suis d'autant plus que, pendant un an et demi, j'ai été consultant auprès d'iSe, une société suisse mandatée par les grands constructeurs présents en F1, afin de réfléchir à leur projet d'un championnat alternatif à l'actuelle formule 1. Sans être impliqué à 100 %, j'ai toujours porté un regard attentif.

Quelle est la nature de cette collaboration?
iSe est une émanation de Dentsu et de Publicis qui réfléchit à l'aspect organisationnel et commercial d'une nouvelle série. Y a-t-il, en fin de compte, une possibilité de travailler sans Bernie Ecclestone? Ayant été pilote, mais surtout patron d'écurie pendant cinq ans, je leur ai apporté ma connaissance sur les aspects techniques et sportifs. Je leur ai livré mon expérience sur les questions de droits, notamment sur les accords de la Concorde. L'essentiel de ce travail a été fait.

Les constructeurs qui ne sont pas déjà présents sous leurs propres couleurs rachètent les équipes qu'ils motorisaient. Peut-on parler de mutation?
La mutation s'est amorcée dès 1998. Le pire, c'est le mauvais compromis: lorsque deux ou trois grands constructeurs sont en lutte avec des équipes privées. A partir du moment où toutes les équipes appartiennent à des grands groupes, tout le monde est à peu près sur un même pied d'égalité. Sur le plan sportif, ça a un peu plus de valeur.

De quoi souffre la F1 aujourd'hui, et quels en seraient les remèdes?
Le vrai problème est que la F1 est dans un état de conflit permanent. Les réglementations changent sans arrêt. Même s'il a une grande part de responsabilité dans cette situation, Max Mosley n'est pas seul en cause. Les équipes sont incapables de s'entendre, les accords de la Concorde imposant que les changements se fassent à l'unanimité ou bien avec l'aval de la FIA. La priorité serait d'avoir un vrai management, cohérent et démocratique, qui s'appuie sur un système de vote soumis non plus à l'unanimité, mais à un principe de forte majorité. Et, surtout, d'avoir une visibilité sur le moyen et le long terme. C'est l'un des voeux des constructeurs.

Propos recueillis par Jean-Jacques Larrochelle



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